Lettre à l’Observateur.

16 Août 1789.

 

         Vous êtes, Monsieur, un publiciste tout neuf encore, et on le voit bien. Quand le titre de votre dernière feuille n’assurerait pas que vous n’en êtes qu’au 4ème N°, on reconnaîtrait aisément le jeune écrivain à la tournure du style. En écartant, à l’avenir, quelques expressions impropres, ou plutôt placées à contre-temps dans vos écrits, il serait pourtant possible que l’on vous lût. Il faut absolument vous corriger de ces défauts. Recevez donc quelques leçons de ma vieille expérience.

         Par exemple, de quoi vous êtes-vous avisé en disant en dernier lieu : « Français ! la liberté de la presse nous a rendus Citoyens. C’est elle qui a créé l’ASSEMBLÉE NATIONALE, qui, » etc.

         Tout doux, Monsieur, tout doux. Apprenez que ces grands mots commencent à ne plus être de mode. On en revient aux anciens errements. Toutes ces innovations générales étaient bonnes pour l’essai ; mais il paraît qu’on a déjà reconnu que les formes précédentes, c’est-à-dire, celles du pouvoir arbitraire, valaient bien mieux que tout l’attirail de cette liberté tant vantée, qu’on y avait voulu substituer. Un écrivain public, Monsieur, s’il veut faire son chemin dans le monde, doit s’accommoder aux temps et aux circonstances. Modelez-vous sur un de vos sages confrères (*), qui, tandis que vous continuez de vous extasier comme on faisait encore il y a quatre jours, se conforme prudemment au ton du règne aristocratique qu’on nous fait espérer qui va renaître. Consultez-le :

         « M. le Directeur-Général des Finances remit, de la part du Roi, au Comité des subsistances des ÉTATS-GÉNÉRAUX, un Mémoire instructif, » etc.

         Voilà, Monsieur, comme on recommence à parler. Il est toujours bon, comme vous le voyez, d’avertir les jeunes gens, et de les garantir des dangers auxquels leur inattention les expose. Vous, en place du confrère, auriez peut-être dit encore : l’Assemblée Nationale, termes insignifiants, et d’une dissonance choquante pour bien des lecteurs.

         Si vous sentez tout le prix du bon office que ma lettre peut vous rendre, je ne crois pas que vous trouviez que j’exige une reconnaissance excessive, en demandant que vous l’insériez dans l’Observateur, N° 5. Cela servirait à me prouver que vous voulez tirer profit de mes avertissements, et le faire partager aux Citoyens qui vous lisent.

         Je suis, Monsieur, un de ces Citoyens. BABEUF, rue Quincampoix, N°. 40

 

(*) M. *** ; Journal-de l. v. du 16 août 1789.

Le Comité de Police à l’Hôtel-de-Ville, permet la libre circulation de la feuille intitulée, l’Observateur, en se conformant au Règlement qui oblige à mettre à chaque exemplaire le nom de l’Imprimeur OU du Libraire. Ce 14 Août 1789. DUMANGIN, Président. PITRA. FAUCHET.

Chez VOLLAND, Libraire, Quai des Augustins.

Fac-simile de l’édition originale

édité du mauvais côté, révision 3, 13.12.2004          Autres textes disponibles ici